Dans la presse locale

Dominique Ganibenc : « Le château viticole, signe ostentatoire de réussite »


L’historien Dominique Ganibenc évoque les châteaux, leurs propriétaires et leurs constructeurs.
 
Article publié dans Midi Libre en ligne  , mis à jour 

Dominique Ganibenc est historien et spécialiste du monde viticole du Midi, des châteaux pinardiers aux caves coopératives. Il évoque pour nous les premiers en Biterrois.

Comment sont nés les châteaux viticoles du XIXe siècle ?

Consacrant une viticulture de masse, de nombreux châteaux viticoles sont construits et restaurés en Languedoc-Roussillon durant le XIXe siècle et connaissent des pôles d’implantation privilégiés, tels le Biterrois, le Narbonnais et le Carcassonnais. Ces lieux de concentration s’expliquant en partie par la création de nouveaux vignobles. Le Biterrois possède la poche la plus importante pour la construction ou la restauration de châteaux viticoles. On en recense une soixantaine. Ils ont une architecture que l’on peut qualifier de savante et esthétiquement riche : néo Louis XIII, néo classique, néo-renaissance… et beaucoup d’éclectisme.

Ils sont associés à des grands noms de l’architecture comme les Garros de Bordeaux. Ils ont construit les plus beaux : Libouriac, Rouïeire ou Villeneuve. Les Garros font le lien entre la Gironde et notre région grâce au chemin de fer. Ils ont saisi l’opportunité de se développer sur nos terres languedociennes. Il y a aussi Léopold Carlier de Montpellier. Il a restauré Mus, entre autres. Et le château de Montady est remarquable.

Il faut savoir que ces architectes ont aussi construit ou restaurés pas mal d’hôtels particuliers dans Béziers. La ville offrait tout aux propriétaires : les loisirs et les rencontres. Le château, signe ostentatoire de réussite, ils y allaient pour surveiller les vendanges et pour recevoir leurs amis.

Ces propriétaires s’intéressaient à la recherche scientifique. Ils étaient membres des sociétés archéologiques. Ils suivaient aussi les cercles d’agriculture pour moderniser et rendre plus performante leur unité de production.

Qui étaient ces riches propriétaires ?

Ils appartenaient à la noblesse ou à la grande bourgeoisie. Gustave Fayet, par exemple, grand propriétaire et entrepreneur, possédait cinq domaines. Il était féru d’art et artiste lui-même. Il possédait à l’époque, la plus grande collection de Gauguin au monde.

On peut citer aussi les Andoque, Bonnel, de Cassagne, Coste, de Crozals, Gaujal, de Grasset, Lagarrigue, Sabatier, Viennet.

Quelle est la période consacrant ces constructions ?

C’est l’époque de la révolution du chemin de fer et de la monoculture en agriculture. La première construction remonte à 1860 avec La Dragonne, propriété de Fayet. Mais la réelle impulsion c’est plutôt à la fin des années 1870. L’architecte Garros arrive au début des années 1880 pour travailler sur Saint-Genies-de-Ménéstrol et Libouriac.

Puis, il y a les crises successives de surproduction et dans les années 1890-1900, les constructions se sont taries. Il est resté de nouvelles constructions jusqu’à la Première Guerre mondiale mais c’était plus des villas que des châteaux.

Que sont-ils devenus aujourd’hui ?

Globalement, certains sont restés dans les mains des familles. Mais, c’est un héritage coûteux. D’autres ont été vendus pour devenir des lieux œnotouristiques, ceux de Karl O’Hanlon, par exemple (Les Carasses et Saint-Pierre-de-Serjac, NDLR)/ D’autres ont été rachetés par des collectivités, dont plusieurs sur Béziers même.

Aujourd’hui, la problématique est que la population est plus nombreuse et empiète sur le territoire des châteaux viticoles. Sur le plan paysager, les maisons et lotissements se rapprochent et ça enlaidit les sites.

Dominique Ganibenc vient de publier aux Presses universitaires de la Méditerranée (collection Territoires en mutation), « Vin et architecture dans l’ancien Languedoc-Roussillon. Des châteaux aux coopératives : l’épopée du monde vitivinicole depuis les années 1860 ». Tome 1 : De la genèse aux maîtres d’œuvre (432 p.) ; tome 2 : Typologie, architecture, patrimoine et oenotourisme (416 p.).

Les châteaux de l’âge d’or du Biterrois

Ces vignes qui « pissaient » le vin, plantées essentiellement de cépage aramon, ont fait la fortune de Béziers, qui devient capitale du vin, à la fin du XIXe siècle. Le vin rouge avait couleur d’or ! L’époque correspondait au retour des châteaux dans l’architecture de toute la France. Le Bas Languedoc est loin d’être le premier à en construire ou à remanier de vieilles demeures aristocratiques.

La noblesse terrienne comme la nouvelle aristocratie du négoce font de leur château le symbole de leur réussite et l’emblème de leur domination. Ces riches propriétaires possèdent également de remarquables hôtels particuliers en ville, construits par les mêmes cabinets d’architectes.

On retient le nom de château pinardier pour évoquer ces châteaux de l’âge d’or du Bitterois, nom peu flatteur pour évoquer ce vin léger, médiocre, nutritif, produit en masse qui alimente le monde ouvrier et minier de la révolution industrielle puis les Poilus dans les tranchées.

Les propriétaires aujourd’hui préfèrent parler des constructions de l’âge d’or ou des palais d’Aramonie.

Notre rédaction a choisi de consacrer une série dominicale à ces fleurons du patrimoine local.

Caroline GAILLARD-FOULQUIER
 
À lire dans la presse locale

 

Midi Libre du 31 octobre 2021

Dominique Ganibenc : "Le château viticole, signe ostentatoire de réussite" Entretien avec Caroline Gaillard-Foulquier autour de l'ouvrage Vin et architecture dans l'ancien Languedoc-Roussillon, Dominique Ganibenc, paru dans la collection « Territoires en mutation », PULM, 2021.